Cioran et les Balkans
On peut lire, relire l'admirable "Histoire et utopie", de Cioran. Le classicisme de la langue française corsète les fureurs de l'essayiste roumain, et celle-ci se hisse à une incandescence rarement atteinte. Le chapitre II, "La Russie et le virus de la liberté", est le modèle d'achèvement du style de Cioran. On suit avec un intérêt renouvelé le passage sur les Balkans, de nouveau au coeur des affaires européennes.
"Mais les Balkans ? je ne veux pas les défendre, mais je ne veux pas non plus taire leurs mérites. Ce goût de la dévastation, de la pagaille intérieure, d'un univers pareil à un bordel en flammes, cette perspective sardonique sur des cataclysmes échus ou immanents, cette âcreté, ce farniente d'insomniaque ou d'assassin, n'est-ce donc rien qu'une si riche et si lourde hérédité, que ce legs dont bénéficient ceux qui en viennent?Et qui, frappés d'une "âme", prouvent par cela même qu'ils conservent un résidu de sauvagerie". p.48-49