Quand un Polonais découvre l'éclat du Midi: Gombrowicz
"Mais je me souviens très bien que lorsque j'aperçus pour la première fois au loin la surface immobile et étincelante de la mare latine, tandis que je pédalais au milieu de ce groupe de méridionaux déchaînés,(...) se révéla à moi d'un coup, comme si un rideau venait à se lever. Ce que n'avaient pas réussi à faire toutes les cathédrales et les musées de Paris, ce ruban de route vertigineux, qui piquait droit sur la mer, le fit: je compris soudain le Sud, la France, l'Italie, Rome et mille autres choses, tout cela me devient pour la première fois précieux- à moi qui vais toujours considéré les bruns comme un type humain inférieur. La blancheur de ces pierres, le gris noble, cendré, des platanes, l'azur devant nous et au dessous de nous, la netteté des lignes, la plénitude des formes- je comprenais tout. Et j'étais ravi d'avoir eu cette révélation sacrée alors que je filais comme un fou au milieu d'une bande de jeunes ouvriers ivres et criant à tue-tête, dans un mélange spontané et impétueux de sauvagerie et de culture. Toute cette culture française, que j'avais jusqu'alors tenue pour pour répugnante et bourgeoise, m'apparaissait à présent dotée d'une force élémentaire et presque sauvage- j'étais subjugué. De ce jour, je ne ressentis plus jamais d'aversion pour le Sud."
p.100-101, 'Souvenirs de Pologne"(1984), Witold Gombrowicz, 10/18, auteur découvert quand j'avais vingt-ans, il fut un guide précieux pour mon éveil intellectuel, son "humour de pendu" une soupape de sécurité. La maison de Gombrowicz à Vence fut sauvé in extremis de la furia immobilière par un Américain, à qui on est particulièrement reconnaissant.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Witold_Gombrowicz