Quand l'histoire individuelle est dévorée par l'Histoire
"Mais si les décennies suivantes passèrent paisiblement pour Timmo et la ville Suomussalmi, la perception de la ville changea brusquement, ainsi que sa réputation. L'Histoire pris le relais, l'Histoire avec un grand H. Ce qu'il fallait conserver du chaos étourdissant du passé, ce qu'il fallait écrire, ce dont il fallait se souvenir était finalement séparé de ce qu'il fallait jeter et oublier. Et dans ce vaste inventaire, la minuscule ville incendiée dans la plus désolée de toutes les forêts apparut soudain dans les cours des meilleures académies militaires de la planète. La tactique du motti poussée à l'extrême pouvait être étudiée dans le cadre magnifique de Suomussalmi, où une armée russe, une armée moderne de cinquante mille hommes avait été prise dans un étau de gel et de fer, taillée en pièces de manière systématique et mise à genoux par quelque soldats à skis en uniforme blanc, sans artillerie, sans chars et sans appui aérien, c'était ainsi qu'il fallait conduire la guerre, une guerre défensive dans ce qu'elle avait de plus glorieux."
p.178,"Les bûcherons (titre original: Hoggerne 2005)", Roy Jacobsen, Gallimard 2011
http://fr.wikipedia.org/wiki/Suomussalmi
Présentation de l'éditeur
Un des villageois, Timmo, décide de rester lorsque les autorités militaires engagent une politique de la terre brûlée en mettant le feu à la quasi-totalité des maisons, afin de ne rien laisser aux troupes soviétiques dont l’avancée menace. Timmo vit un peu en marge de cette communauté, et on va donc le laisser faire. Il s’installe dans l’une des rares maisons encore intactes du village, puis, à l’arrivée des troupes russes, sera contraint de travailler pour eux : il est bûcheron, et avec les températures qui descendent jusqu’à moins quarante degrés, le bois est indispensable à la survie des troupes.
Mais surtout, Timmo aura à s’occuper d’un petit groupe de soldats russes que l’on installe avec lui, et c’est cette relation tissée entre eux par les ennemis, malgré les problèmes linguistiques, qui est au coeur du livre. La méfiance, la nécessité de s’entraider pour survivre, l’hostilité de principe et finalement des sentiments fraternels, voire d’amitié, ponctuent le quotidien de ce petit groupe.
Timmo est-il en train de pactiser avec l’ennemi ? L’écriture de Jacobsen est d’une grande simplicité, mais aussi d’une vraie efficacité. On suit avec passion cette aventure un peu improbable d’un homme pris dans les contradictions de la guerre. Toute l’action se déroule dans un village presque entièrement brûlé, sous la neige et dans des conditions climatiques très dures, et Jacobsen parvient avec peu de moyens à faire surgir sous nos yeux ce cadre inhabituel.
Porté par un questionnement universel sur la fraternité et les valeurs humaniste en temps de guerre, Les bûcherons est un roman émouvant et juste, une vraie découverte.
Les bûcherons est son premier roman traduit en français.