Retour sur l'élection présidentielle française 2007

J'avais découvert Jacques Sapir pour l'une de ces tribunes sur la crise géorgienne. Son dernier ouvrage, parmi de robustes analyses, développe sur la dernière élection présidentielle française un éclairage éclairant:

"L'élément principal ne se limite pas à cela. Il réside dans cette intégration du langage des opposants, qui vaut symboliquement reconnaissance. Cette intégration, au-delà de ses dimensions opportunistes et tacticiennes, fait exploser les barrières du non-dit. Le "politiquement correct" libéral-européiste est mort dans les semaines qui ont précédé l'élection. Les contorsions juridiques qui vont conduire à l'adoption au parlement de ce qui fut en grande partie rejeté lors d'un référendum ne font que renforcer le constat d'une perte de contrôle sur le langage, et par ce fait même sur la construction du champs politique.
  Ce n'est pas un petit événement, même s'il n'est pas souligné par les commentateurs. Il signifie que les forces "pro-système" ont perdu leur hégémonie idéologique durant le cours de cette campagne. Elles ne peuvent survivre électoralement que par l'intégration d'un discours qui est en contradiction tant avec leur idéologie propre qu'avec leurs pratiques politiques quotidiennes. Une telle situation où des forces pro-système doivent reprendre une partie du discours des forces anti-système a toujours été le signe d'une crise politique grave, et potentiellement explosive. Des segments entiers des forces pro-système sont déstabilisés et idéologiquement prêts à basculer.
   Telle est donc le seconde leçon qu'il faut tirer du premier tour  de l'élection présidentielle de 2007, avec l'analyse qui a été faite du rôler des effets de contexte dans la construction des préférences des électeurs. On voit que l'on est loin du constat triomphaliste quant à la "fin"de la crise politique française que certains ont voulus tirer."

p.241, "Le nouveau XXe siècle"(mars 2008), Jacques Sapir, Seuil