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Lectures paresseuses
3 janvier 2009

Esclavage en Ethiopie, récit de Kessel

Au service du journal le Matin, au sortir de la première guerre mondiale, Kessel écrit une série d'articles retentissants sur le trafic d'esclaves:

213210137_fc9f4b938a_m"Je m'étais renseigné depuis. J'avais appris qu'un trafic régulier s'effectuait par caravane, du cœur de l'Afrique noire jusqu'au bord de la mer Rouge. De là, les esclaves étaient embarqués sur des boutres arabes pour le Yémen d'où on les acheminait vers l'Arabie Saoudite et notamment vers La Mecque."p.61
"Notre véritable aventure commençait.
  Le lendemain, nous avons gagné la province du Harar, le "territoire" de Monfreid. Monfreid, le "pirate", ou plutôt Abd el-Haï- c'était son nom désormais- qui s'était converti à l'islam, parlait la langue sur le bout des doigts,était considéré comme un Arabe à part entière, et qui, pour mieux y faire croire, avait poussé le courage jusqu'à se faire circoncire, à plus de trente ans, avec un tesson de bouteille.
    Nous assisté chez lui à une scène ahurissante.
    Une trentaine d'esclaves appelés sur ordre ont fait leur apparition à la tombée du jour - des hommes, des femmes, des enfants; certains énormes, au ventre dilaté, d'autre squelettiques avec des visages ahuris; un effrayant échantillon de bétail humain.
   Un des serviteurs de Monfreid les a conduits sous un vaste tamarinier où était attaché un boeuf. Retenus par une corde épaisse, les esclaves se ont assis dans le sable, serrés les uns contre les autres. Le cuisinier a apporté un long coutelas à la lame fine. Devant les yeux écarquillés des esclaves, le serviteur a tranché la carotide de la bête qui s'est mise à mugir, à trembler, à vaciller et qui s'est effondrée d'un seul coup. Puis il a brandi son arme et l'a baissée d'un geste sec.
   Il avait donné le signal.
539447323_b0ef811459_m  La corde a valsé dans les airs. Les esclaves affamés ont bondi. Comme des piranhas, ils se sont précipités sur la dépouille que les nerfs agitaient encore. Ils avaient si faim qu'ils ont dépecé le boeuf avec leurs ongles, qu'ils ont dévoré la viande crue sanguinolente et jusqu'aux intestins pleins d'excréments. Ils ont tout mangé. Tout. Tout. Puis, ivres de nourriture et de sang dont certains barbouillé le visage et les membres, ils se sont mis à sauter, à danser et à chanter dans leurs complaintes millénaires originaires de l'Afrique d'où on les avait arrachés.
   Les esclaves que nous avions sous nos yeux étaient semblables en tous points à ceux qui, cinq mille ans plus tôt, avaient servis les Pharaons.
   L'enfant dans le ventre de sa mère appartenait à son maître avant même de voir le jour. Pour des fautes vénielles de paresse ou pour des larçins minuscules, ils étaient pendus par les pieds à la branche d'un arbre, au-dessus des brasiers sur lesquels on versait du poivre rouge. On ne les détachait que lorsqu'ils étaient aveugles.

p.64-65, "Ami, entends-tu..."(2006), Kessel, Folio

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