Spirale de la dépression
"J'avais le visage figé, la bouche sèche. Si on m'avait demandé comment j'allais, j'aurais répondu: j'ai mal là , en désignant un endroit précis en haut de la poitrine, ou plutôt en bas de la gorge. J'arrivais de plus en plus tôt à mon travail. Assis dans l'autobus, j'avais les yeux qui me brûlaient sous les paupières. J'ignorais ce qui m'attendait. Je me demandait si ce serait pire de me retrouver seul. C'était ce que je craignais: que ce soit pire. Je craignais les effets sur mon corps, cette douleur dans la poitrine qui ne faisait que s’accentuer, le combat de plus en plus pénible pour avaler le moindre bout de nourriture, la soudaine paralysie des jambes, les pensées qui vagabondaient comme des ondes radio déréglés et les brutales chutes abyssales que je vivais dans mon sommeil: tout cela cela ne pourrait que s'aggraver, d'autant que j'avais compris avec horreur qu'il n'y avait pas grand-chose à faire pour y remédier. Aucun effort de la volonté ne pourrait me sortir de cet état, aucune diversion intellectuelle ne pourrait me tirer de là. J'en étais parfois réduit à rester assis dans un fauteuil en espérant que mes souffrances se calmeraient assez pour me permettre d'accomplir les actes les plus banals (...)
p.33, "Maudit soit le fleuve du temps", Per Petterson, Gallimard 2010