Semaine sainte dans le Finistère
"Je revois les bouquets de buis assemblés pour la
un orvet massacré dont les tronçons noirs ne
cessent de se tordre dans l'herbe mouillée
les bouvreuils qui dilapident pétales et bourgeons
le bois fraîchement entaillé pour les greffes et qui
suinte
dans les stalles du Jeudi saint les pieds des enfants
de choeur débarrassés de leurs chaussettes lai-
neuses
je revois dans les champs ces arbres nouvellement
coupés qui se dressent comme des têtards et des moignons
ces prairies remplies de jonquilles, ces talus cou-
de primevères qui fleuriront sur les autels de la
Semaine sainte
je revois cette campagne gorgée d'eau, de sève et de vie
je revois un ensemble d'images, étranges enlumi-
nures de verdure et de deuil
dans l'église qu'encerclent les vagues les statues ont
disparu sous des housses violettes
je revois des autels dénudés, sans nappe, comme
des bateaux au pont mal équarri
je revois des parquets sans tapis sur lesquels on va
pieds nus
des confessionnaux où l'on dépose l'arborescence
je revois des journées de plein soleil, plus grises
et pluvieuses à mesure que s'avancent les marées
funèbres
le temps détraqué du grand Vendredi
dans le jardin des bouvreuils et les grivesont dis-
paru
le silence et le froid soudain
je revois sur le pont que battent les flots gonflés de
la grande Semaine les vieilles fmmes en deuil
perpétuel qui se pressent à l'église
je revois et j'entends
Ô Croix dressée sur le monde, ô Croix de Jésus-
Victoire, tu régneras ! Ô Croix, tu nous sauveras!
Mystère du Calvaire, scandale de la croix
Je revois dans la nef silencieuse et vide de tout faste
une croix de bois rugueux que l'on embrase,
une croix qui est entrée par la porte des morts
Il n'y a plus rien soudain, plus de grives, plus de
bouvreuils, plus de bourgeons saccagés, plus de
fleurs, plus de pieds nus, plus de nappes resplen-
dissantes
Le froid des rochers, des anguilles et des congres
Le froid qui remonte de la mer et envahit l'église
L'orvet trnçoné et qui danse
Des pieds cloués, la lune voiléee, le jardin qui s'enté-
nèbre."
p.231/232, "Les marées du Faou"(2003), Philippe Le Guillou, Folio n°4057