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Lectures paresseuses
28 mars 2013

Vie contemplative dans le Finistère

    "Un matin, nous nous étions levés très tôt pour entendre à Landévennec la première messe des moines. J'avais vu la rivière, puis l'Aulne, noires, écrasées par le brouillard. A l'entrée du dépôt de munitions de la Marine, le factionnaire veillait déjà. Les carcasses et les proues du cimetière marin leveaient leurs grues et leurs guenilles fantomales. Dans la nef de l'abbaye, j'avais découvert des vieillards et de jeunes hommes surtout qui priaient et chantaient, loin de nous, comme ils s'ils eussent appartenu à un autre monde. Leurs robes blanches, leurs pieds purs et nus enlacés dans des sandales m'avaient ému. Leur offrande vocale avait duré quelques minutes, arrachées à l'écoulement des heures ordinaires, au-dessus de la rivière et de l'Aulne, au-dessus des poissons, des eaux confluentes, des vestiges de vaisseaux, des grèves sur lesquelles venaient s'échouer les cadavres des vieilles femmes happées par le flot. Et la lourde porte de chêne s'était refermée, me laissant seul avec Anne et mes parents, et les autres, loin, très loin de ces frères de prère et de chant qui s'étaient enfoncées, comme en glissant dans les recès de l'abbaye.

   Qui étaient-ils ? Pourquoi avaient-ils choisi cette vie de silence, de jeûne, cette vie de veilleurs vocaux au-dessus des boucles lentes de l'Aulne ? Quelle pouvait bien être cette force qui les avait poussés à tout abandonner, leur famille, leur maison, leurs affaires, leurs connaissances ? Eux qui passeraient désormais leut temps à prier et à chanter au-dressus de cette ligne où les eaux de l'Aulne, celles de la meret celles encore de la rivière du Faou se rencontraient, un jour, dans l'obscurité et l'atonie de ces vies que rien n'éclairait, ils avaient entendu comme une voix, un ordre qui leur demandait de partir, de tout laisser, l'appel d'un ange, d'un jeune homme lumineux aux mains et aux pieds sanglants, qui leur enjoignait de tout laisser derrière eux, tout ce qui était lourd, lesté de péhé et de nuit, tout ce qui était attache, entrave, matière. Et ils avaient dit oui, sans hésiter, ils avaient répondu à cette voix jaillie des profondeurs de ce monde, cette voix déracinante, décoiffante, cette voix des abysses et des nuées, ce souffle qui traversait les bois et faisait trembler les portes."

p.109/110,"Les marées du Faou"(2003), Philippe Le Guillou, Folio n°4057

 

 

 

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